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Les riches heures de Fantasia
16 juin 2011

Vert Jade Rouge Sang - Pascale Maret

Vert Jade Rouge Sang

De Pascale Maret

Thierry Magnier – mai 2011

9,50 euros

 

Ko Myo, jeune homme posé et raisonnable, s'apprête à entrer à l'université. Mais sa mère inquiète lui demande de partir à la recherche de son frère Naing Lin, dont elle n'a plus de nouvelles depuis qu'il a rejoint les mines de jade du nord de la Birmanie. Ko Myo entame un long périple et retrouve Naing Lin dans un état terrifiant de misère, drogué, obsédé par le jade.

Le jade birman, c'est un peu l'or du Far West américain. Les spéculateurs s'enrichissent sur le dos de pauvres hères illusionnés, leur créant des conditions de travail et de vie propres à briser toute volonté. Rien d'étonnant à ce que Naing Lin le fils favori, le beau garçon influençable, se laisse happer par les mirages qu'on lui propose. Et, marri de ne pas aboutir, à ce qu'il trouve son réconfort ailleurs : drogue, jeu, prostitution... Le village construit autour de la mine entretient ainsi une autarcie délétère, une dangereuse ignorance du monde extérieur - les riches propriétaires font par exemple courir le bruit que le sida est une simple « maladie du jade ». Ko Myo le pur plonge dans cet univers en une apnée dégoûtée, puis révoltée lorsqu'il rencontre et tombe amoureux d'une jeune serveuse, Sanda. Pour elle autant que pour son frère insuffisant, il restera un temps et deviendra mineur. Sans jamais plier malgré les douleurs physiques et les contradictions morales…

Très bien documenté tout en restant d'écriture naturelle, ce roman fait mouche dans nos consciences, et honte au genre humain dans son ensemble : faiblesse des mineurs pris dans un cercle vicieux, spéculateurs autant de pierres précieuses que de chair humaine, occidentaux acheteurs en bout de chaîne.

Sur cette intraitable trame sociale, Pascale Maret brode deux belles et difficiles histoires d’amour, l’une fraternelle, l’autre amoureuse. Certes, elles n’allègent pas l’atmosphère, mais font couler le roman avec passion. Chacun des trois protagonistes a ses travers et ses grandeurs qui nous les rendent proches. Suivi par le narrateur externe, Ko Myo est sans doute le plus torturé, entre égoïsme et devoir filial. Sanda la victime totale, fille d’un opposant politique dont on a puni tous les proches, m’a beaucoup touchée mais elle reste en marge de l’action, suivant simplement Ko Myo. Quant à Naing Lin, j’ai eu envie comme son frère de le secouer violemment, même si les dernières pages nuancées, parfaites, le réhabilitent. Je ne dirai pas que je me suis glissée dans la peau de ces héros loin de nos réalités, mais j’ai largement compati leurs situations douloureuses que je découvrais : un moyen imparable de tourner les pages. Souvent, il m’a fallu me remettre dans l’idée qu’il ne s’agissait pas d’un XIXème siècle à la Zola, mais de faits qui se déroulent exactement aujourd’hui.

Si je devais appliquer un terme à cet ouvrage dur qui paradoxalement se dévore, ce serait « roman social » (en dehors de toute étiquette littéraire) : tout autour de l’homme, nous tournons, pour le meilleur - un peu - et pour le pire - surtout -.

 

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« Oui, il fallait partir, le plus vite possible, laisser derrière soi la saleté et la laideur de Hpakant, le vacarme des engins de chantier, les lumières rouges des 'salons de beauté', les morts vivants faisant la queue au camp de came, les cadavres de filles pourrissant au fond de puits inondés. Pour un peu, il aurait jeté ce maudit caillou au bas de l'éboulis et serait parti tout de suite, à pied, jusqu'à Rangoon. » (p. 140)

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