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Les riches heures de Fantasia
12 octobre 2011

Fantasia pose une patte dans les bas-fonds de Londres...

Comme Penelope Green, Fantasia a fait sa curieuse et a voulu poser plein de questions à Béatrice Bottet. Sans hésiter, la généreuse auteure lui a dévoilé les coulisses de sa série :

Fantasia : Penelope Green, un Sherlock Holmes en jupons ?

Béatrice Bottet : Je ne vois pas vraiment Penelope en Sherlock. Son travail, ce n’est pas l’enquête policière, mais l’écriture, le journalisme, et si elle se retrouve embringuée dans des péripéties et des aventures, c’est (ou ce sera) plutôt malgré elle. Je l’aurais bien vue plutôt en Tintin, toutes proportions gardées, mais à mon goût, on ne voit pas assez Tintin dans son travail de journaliste. Pour moi Penelope écrit, elle aura des obligations vis-à-vis de son rédacteur en chef, des papiers à rendre avant que les rotatives ne démarrent, vite, vite, des urgences. Elle aura des initiatives à prendre aussi, pas toujours prévues par le « Guide du Bon Journaliste Prudent, Efficace et Toujours dans les Délais ».

Et puis elle est beaucoup plus candide que Sherlock Holmes, qui est un enquêteur aguerri, qui sait se battre, se déguiser, déduire à partir de faibles indices, et est payé pour cela par ses clients. Chacun son métier, au fond. De plus, ce qu’elle voit ou expérimente se fait non seulement à travers le filtre de sa candeur ou de sa jeunesse, mais aussi en tant que femme. La condition de la femme en Angleterre est non seulement ce qu’elle est dans une grande partie du monde (la femme est « naturellement » inférieure à l’homme), mais le corsetage est majoré par la vision très anti-féministe de la reine Victoria, d’une moralité bornée et bigote, tout dans les « bonnes manières » et « ce qui se fait ou ne se fait pas ». La reine, jouant en quelque sorte contre son propre camp, déteste et méprise les manifestations d’indépendance des femmes.

Penelope, fille de son époque et de son milieu malgré l’éducation dont elle a bénéficié, du fait que son père l’a formée et utilisée comme documentaliste, n’est pas franchement féministe. Ce sont ses enquêtes, ses articles qui vont peu à peu lui ouvrir les yeux sur les bizarreries dont les femmes sont l’objet à son époque, bizarreries qui prennent forcément la forme d’inégalités de traitement.

 F : Penelope fait un peu penser à Enola Holmes de Nancy Springer. Que pensez-vous de la série ?

BB : Je n’ai jamais lu les aventures d’Enola Holmes. Je suis néanmoins allée voir sur internet ce dont il retourne. Je n’ai pas eu l’impression que les deux héroïnes se ressemblaient vraiment. J’ai eu l’impression qu’Enola est plus jeune que Penelope, et plus enquêtrice dans l’âme. En revanche, elles auraient en commun cet attrait pour l’indépendance et la liberté, si difficiles à mettre en œuvre quand on est une femme à l’époque victorienne. Attendons donc un peu que j’en aie lu deux ou trois tomes avant de pouvoir répondre avec des arguments étayés !

F : Dans la misère des bas-fonds de Londres, le ton général du roman est dramatique, voire violent. Mais l'action aurait pu se situer à Paris, comme dans Rose-Aimée. Faut-il voir ici un clin d'oeil à Dickens ?

BB : Non, plutôt à l’affaire Jack l’Eventreur. J’ai lu énormément d’ouvrages sur ce fait divers, et j’ai vu quelques films également. J’ai lu ensuite des ouvrages plus généralistes sur l’East End. Bien sûr, Dickens était dans le coup, mais pas seulement lui.

Comme beaucoup, pour reparler de Jack l’Eventreur et de l’East End, j’ai été fascinée par l’ambiance sinistre des bas-fonds londoniens, j’ai eu envie de m’en servir de décor. Je ne voulais pas que Jack l’Eventreur (1888) interfère avec mon histoire, ni même le souvenir de cette affaire, c’est pourquoi, en moi-même, j’ai situé l’affaire des Enfants Perdus quelques années auparavant (date d’ailleurs non précisée, pour le confort de l’auteur quant aux réalités et événements historiques).

Pour ce qui est de Paris et de Rose-Aimée, le décor que je « vois » dans mon imaginaire ressemble plutôt à celui de French cancan, de Renoir. Et puis enfin, c’est mon quartier, j’ai de la documentation sur La Villette et Belleville au XIXe, et même des souvenirs des années 60, je n’ai pas de mal à m’y projeter. Mon imaginaire fait une nette différence entre Paris et Londres, l’idée que je m’en fais par ma documentation également, mais je reconnais que c’est juste personnel.

Cependant, il est vrai que l’histoire aurait pu aussi bien se dérouler à Paris, dans les mêmes bas quartiers que Rose-Aimée, avec une intrigue quasiment similaire. Mais bon, pour cette fois, c’était Londres…

F : Vous avez imaginé le personnage du jeune marin comme étant celui d'un Français - sa nationalité est souvent mise en avant. Eu égard à la réputation de charmeurs des hexagonaux ;-) ?

J’ai fait un Cyprien qui, je ne m’en cache pas, ressemble par beaucoup de côtés au Martial de Rose-Aimée, bien qu’il soit moins tourmenté et peut-être moins irrationnel dans ses actions ou ses décisions.

J’ai voulu délibérément lui tailler une réputation de « Français joli-cœur » aux yeux des Anglais. Du moins je suppose que les Français, beaux parleurs s’ils le veulent, moins coincés que les Anglais de la bonne société, et peut-être (dans mon imaginaire ?) moins lourdauds que les Anglais du peuple, ont pour les jeunes filles britanniques des charmes inattendus, qui suscitent par ailleurs le mépris ou la critique acerbe des messieurs. Mais cette réputation serait plutôt de l’ordre du clin d’œil. N’oublions pas que Français et Anglais sont ennemis héréditaires. Les uns ont toujours eu sur les autres, me semble-t-il, des idées bien arrêtées et des jugements à l’emporte-pièce, et le côté séducteur léger des Français en fait partie.

F : Les droits de la femme, à l'époque en gestation, et particulièrement en Angleterre, sont évoqués de manière récurrente. Malgré toute son audace, Penelope se pose beaucoup de questions sur sa condition de jeune fille seule. Avez-vous profité d'une réalité historique ou le sujet vous tient-il à coeur ?

BB : Ce sont bien évidemment mes lectures qui m’ont mise en contact avec ces réalités, et je crois que le sort des Anglaises est encore plus contraignant que celui des Françaises, bien que je n’en sois pas totalement sûre. Dans tous les cas, la femme est une éternelle mineure, soumise au bon vouloir de son époux dans tous les domaines de sa vie. Qu’elle cherche à se soustraire à la condition conjugale, pour les femmes mariées, et elle perd tout, y compris le droit d’avoir le moindre contact avec ses propres enfants, par exemple. Mieux vaut à la limite ne pas être mariée, sans doute. Mais par ailleurs, on fait toujours miroiter aux filles le mariage comme état idéal, et le célibat comme une honte, ou au moins un état imparfait, vaguement ridicule (le portrait de la vieille fille ridicule, de la célibataire laissée pour compte, guette celle qui choisit ou subit le célibat).

Il est vrai que Penelope, qui n’est soumise ni à un père, ni à un mari, ni même à un tuteur, bénéficie d’une chance particulière. Mais c’est pour l’auteur une facilité de l’avoir faite orpheline, j’en ai bien conscience… Quoi qu’il en soit, si elle peut enquêter seule, partir à l’aventure, gagner sa vie, fréquenter un « garde du corps » qui est vite bien autre chose pour elle, c’est parce qu’elle n’a de comptes à rendre à personne. Mais évidemment, c’est périlleux pour sa réputation. Le risque pour elle est qu’elle semble peu sérieuse, voire carrément dévergondée, « perdue de réputation » comme on dit à l’époque. Pour l’heure, Penelope n’a aucune préoccupation sociale ou politique, elle ne se sent pas le moins du monde dans la mouvance des suffragettes, autrement combatives. Non, elle se sent seulement une jeune fille qui souhaite vivre sa vie à son idée. Mais c’est justement cela qui est difficile, comme elle s’en rend compte sans peine aux multiples réflexions d’étonnement ou de mépris masculin (ou d’ailleurs féminin, les femmes de son milieu ayant bien intégré la leçon) que son attitude fait naître autour d’elle. Du coup, elle s’étonne de plus en plus, elle ne se reconnaît qu’en partie dans le portrait de la femme idéale dressé par son époque, elle regimbe, se sent aux limites, et envoie balader Wilfrid et sa mère, qui voudraient bien la caser, c’est-à-dire à la fois la marier, la mettre dans une case, et la rendre conforme à ce que la société attend d’elle. Et pourquoi s’y plierait-elle, s’y résignerait-elle, elle qui a d’autres atouts et d’autres désirs ? Tout mariage ne serait pour elle rien d’autre qu’un carcan. Mais elle n’en prendra conscience que progressivement.

Alors oui, bien sûr, le sujet me tient à cœur en tant que femme. Je ne me sens pas spécialement féministe, mais tout de même !… Il y a tant de problèmes qui ne sont pas encore réglés pour les femmes, tant de plafonds de verre, tant de prétendus acquis qui sont restés lettre morte, une femme ne peut y être indifférente. Et, j’espère, les garçons (les lecteurs) non plus.

Et il y a sans doute dans mes romans une part de compassion pour les femmes du passé, mes ancêtres, qui ont eu à batailler dur et douloureusement. On ne peut rien faire pour elles, certes, mais l’écriture de romans, eh bien pourquoi ne serait-ce pas pour les lecteurs, filles et garçons, une forme de prise de conscience ?

Reste aussi une part contemporaine de cette question de l’égalité des droits homme-femme, voire de l’emprise des hommes sur les femmes, leur vie, leur conscience, leurs désirs, leur autonomie. En théorie pas sous nos latitudes, ni avec nos lois, mais dans d’autres civilisations, qui continuent à considérer la femme comme inférieure. Ce qui fut notre passé est leur présent. Là encore, la prise de conscience peut se faire par le biais de la transposition entre un roman évoquant les femmes au XIXe et la réalité présente, qui sait ?

F : En comparaison avec un premier tome très grave, le deuxième tome semble s'annoncer de manière plus paisible et immédiatement positive. Vous réservez-nous une surprise ?

BB : Paisible ? Penelope ? Mais vous voulez rire ! Tout article que Penelope projette d’écrire pourrait bien être un engrenage dans lequel mettre le doigt, c’est risquer le danger, ou l’aventure… Des chausse-trapes s’ouvrent sous ses pas, des mystères sont tapis là où on ne les attend pas vraiment, y compris dans la bonne société new-yorkaise. Voilà ce que c’est que de fouiner dans les affaires que certains voudraient voir rester très discrètes.

Heureusement, Penelope a trouvé le garde du corps idéal. Euh, peut-on, en fait, franchement parler de garde du corps ? Cyprien prend du galon en devenant son aide, son assistant, son inséparable. Et parfois, ils ne seront pas trop de deux pour venir à bout des intrigues vers lesquelles Grayson, le rédacteur en chef du Early Morning News, envoie sa nouvelle journaliste.

Mais pour le moment, vous n’en saurez pas plus.

Et voilà : pour une fois, Fantasia n'a pas eu le mot de la fin ! Elle s'en est heureusement remise, toute à sa joie d'avoir pu interviewer un écrivain aussi gentil et disposé à lui accorder de son temps.

Un grand merci à Béatrice Bottet !

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