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Les riches heures de Fantasia
18 octobre 2011

Fantasia dans la forêt

Fantasia :

C'est Sophie qui a lu (dévoré en quelques heures) Le Dernier Hiver de Jean-Luc Marcastel. Ma gamelle est restée vide, on n'a pas joué à la balle, et pire que tout, alors que je voulais juste une petite caresse du soir, Sophie a hurlé de frayeur en me voyant arriver sur le côté du canapé ! En cause, paraît-il, un épisode particulièrement stressant pour être lu la nuit...

Vous vous doutez bien que j'ai voulu savoir de quoi il retournait. Avec Sophie, on a contacté Jean-Luc Marcastel, un monsieur très gentil, qui a bien voulu répondre à nos questions :

- L'histoire se passe à Aurillac, où vous habitez. Le contexte n'est pas banal, surtout pour ce type de romans fantastiques. Est-ce un simple clin d'oeil à ceux qui vous connaissent, un rappel que tout ne se passe pas à Paris, ou bien y avez-vous trouvé un réel intérêt dramatique (présence de la nature...) ?

Je pense qu'un bon récit peut se dérouler n'importe où, en France ou ailleurs, l'important, c'est la manière dont on le met  en scène, dont on le raconte, alors pourquoi pas à Aurillac ? Il s'agit de ma ville, un lieu auquel je suis attaché et que j'aime et Le Dernier Hiver pouvait commencer n'importe où, alors...

Stephen King, dans son livre Ecriture (dont je conseille la lecture à tous ceux qui désirent se lancer dans une carrière romanesque) dit, avec justesse, qu'on doit toujours partir de ce qu'on connait. On est toujours plus convainquant et nos histoires y gagnent en crédibilité.

Je peux, bien sûr, écrire une histoire qui se déroule dans un autre pays (ou sur une autre planète), ou par exemple à Los Angeles, mais je n'en parlerai jamais aussi bien que James Ellroy qui connait la ville, ses odeurs, qui a battu son pavé, arpenté ses rues, trainé dans ses bars...

Une bonne part des récits de Stephen King, pour revenir à lui, se déroulent dans le Maine, sa région, tout simplement parce qu'il sait de quoi il parle, il peut en retranscrire les ambiances, et son histoire y gagne en véracité, en émotion... Pour moi, c'est la même chose.

Enfin, le fait que Le Dernier Hiver commence à Aurillac, au coeur de la France « profonde » ajoute, au contraire, à la dramatique de l'histoire. Si même Aurillac est touché, alors il est  évident, pour le lecteur, que le reste de la France, du monde, l'est aussi et il est presque plus inquiétant de situer l'action à Aurillac qu'à Paris par exemple.

En découvrant le sort d'Aurillac, enserrée, étouffée par la Malesève, cette forêt mutante et carnivore qui, chaque jour, pousse ses racines conquérantes vers la ville pour mieux la dévorer, ainsi que tous ceux qui s'y trouvent, le lecteur partage le sort et l'angoisse des habitants de toutes les petites villes de France et du monde de ce terrible futur, menacées, en sursis...

- On compte quelques moments très angoissants, remplis de suspens. Je pense par exemple au village « abandonné » dans la montagne. Plus que le fantastique, vous lorgnez alors vers l'horreur ! Un petit air de Stephen King ?

Tiens c'est amusant que tu le cites ici, je n'avais pas encore lu cette question et je parlais pourtant de lui dans la réponse précédente.

L'horreur, pas vraiment, ou alors si, mais au sens « noble » du terme.

Je n'aime pas les effets d'hémoglobine souvent associés à la littérature ou aux films « d'horreur », qui écœurent ou dégoûtent, parfois même jusqu'à la nausée ou le rire, plus qu'ils n'effraient.

Stephen King, pour parler de lui une fois encore et puisque tu le cites, résume à peu près la chose ainsi : Un bon auteur vous fera peur, sans effusion de sang, il n'en a pas besoin. Celui qui n'en est pas capable, lui, vous fera vomir. C'est vrai aussi pour les films.

Faire peur est comme faire rire, c'est quelque chose d'extrêmement difficile, de compliqué, si on veut vraiment éveiller cette émotion à travers un texte. Instiller la peur, l'angoisse, dans le cœur du lecteur, est un exercice que bien peu d'auteurs ont réussi à me faire partager.

Et pour te répondre, il est vrai que tout le roman baigne dans un sentiment d'attente et d'oppression dû à l'omniprésence de la Malesève, cette forêt carnivore recouvre tout, immense, vigilante, cette forêt dont chaque arbre est un prédateur et dont le murmure incessant, sinistre, accompagne tout le périple de mes héros, sous le crépuscule éternel.

Dans le village abandonné et avec l'épisode des « veurs », l'angoisse et la conscience de cette vigilance muette, prédatrice, gourmande et sans visage qui les guette, devient vite insupportable. Je suis assez satisfait de tout ce passage. La menace est là, en permanence, on la sent, on la devine qui approche, on sait que quelque chose de terrible va arriver, et qu'on ne pourra rien faire pour l'éviter... La tension finit par devenir insupportable, on croit qu'on va être soulagé quand enfin « ça arrive »... Mais c'est le contraire.

Pour moi, la vraie peur, le vrai fantastique, c'est ça : suggérer en en montrant un minimum. Et pour ma part, c'est plutôt vers Lovecraft que j'irais chercher mon inspiration. Il n'avait pas son pareil pour placer le lecteur face à ses propres peur, pour le laisser deviner le pire avant ses héros et ce qu'il suggérait et ce que nous imaginions nous même, empruntant le masque de nos pires cauchemars, était terrible.

Quand j'étais gosse, j'ai vu un très vieux film fantastique en noir et blanc : La chose venue d'un autre monde où les membres d'une station polaire retrouvaient, dans la glace, une créature congelée d'origine extra-terrestre tombée dans l'antarctique des milliers d'années plus tôt. Bien évidemment ils la ramenaient à leur base. Le bloc de glace se réchauffait, la créature en sortait et comme de bien entendu, ne faisait pas la causette  en buvant le café mais commençait à décimer les occupants des lieux. Pendant tout le film, on ne la voyait jamais, ou presque pas, une ombre à peine, et c'était vraiment très angoissant, très effrayant... Et puis à la dernière minute, les héros réussissaient à la piéger et l'électrocutaient... Alors on la voyait, on la découvrait enfin et c'était... Horrible ! Le monstre était... Un homme déguisé en carotte géante avec une combinaison en latex.

Ca m'avait tout cassé et j'en avais éclaté de rire.

J'ai compris la leçon. Comme dans Alien, de Ridley Scott (ce grand Monsieur à qui on doit Blade Runner, un de mes films préférés), où la créature n'est jamais si terrifiante que quand on la devine, quand on l'attend, les dangers ou créatures auxquels sont exposés mes héros sont plus suggérés que décrits, le lecteur peut ainsi y projeter ses propres peurs et leur donner matière...

Enfin, toute l'histoire, du fait de la présence étouffante, écrasante, terrifiante de la Malesève, baigne dans cette atmosphère d'attente et de menace qui parfois, monte et culmine... C'est un savant dosage.

Pour moi, il était important d'instiller cette sensation d'angoisse et d'oppression, de peur permanente et d'état de siège de l'humanité face aux forêts de pins.  La flamme de l'amitié et de l'amour qui anime mes héros en brille ainsi d'autant plus fort alors que le monde s'enfonce dans les ténèbres.

- Le Dernier Hiver est aussi une vraie réflexion sur le pouvoir, en deux temps distincts - deux expériences différentes que vivront les héros. Le second épisode (le faux religieux) semble prendre davantage d'importance que le premier (le militaire). Pourquoi ?

[Attention : la réponse à cette question dévoile quelques moments importants de l’intrigue !]

Le Dernier Hiver, sous les dehors d'un roman d'aventure, et sans prétention aucune, est aussi une réflexion sur l'humanité, dans ses qualités comme dans ses errements. Car alors que la société s'effondre et périclite devant la pression de la Malesève, qui agit comme un révélateur, l'homme, rendu à lui même, se dévoile dans sa vérité, magnifique ou hideux.

Mes héros vont ainsi se rendre compte que les pires des monstres ne sont pas ceux qui vivent et prospèrent dans la Malesève, si impitoyables soient-ils, mais ceux qui se cachent sous des visages humains....

Ils seront effectivement confrontés à deux de ces « ogres » ces hommes qui prospèrent en profitant du chaos et de la fin d'un monde : le premier incite ceux qu'il dirige à enfermer les femmes, sous prétexte de les protéger, et à piller les villages qu'ils rencontrent pour y réquisitionner les armes, les vivres, enlever filles et femmes pour accroitre leur sérail et qui justifie ses actes de barbarie par la survie de l'espèce. Pour moi, il pose une question essentielle : « Doit-on tout sacrifier, jusqu'à son humanité, sur l'autel de la survie ? » Une humanité qui renierait tout ses principes, d'entraide, d'égalité, de tolérance, de respect de l'autre, mériterait-elle encore ce nom ?

Le second, un gourou doté de pouvoirs que lui a conféré une mutation liée à la Malesève, utilise ses talents pour asseoir son pouvoir sur les siens. Il a fondé une église de « La Mère de glace » et maintient les siens dans la croyance que c'est la faute de l'homme si le climat  à changé et qu'il faut se repentir et faire des sacrifices en espérant que la Mère de Glace pardonnera les hommes et rendra le monde aux élus...

Je refuse ce genre d'idée, pour moi, le monde n'a pas de justice immanente, l'homme ne sera ni récompensé ni puni pour ses actes par la nature ou l'univers ou n'importe qui. Une météorite pourrait très bien tomber demain et nous anéantir tous et l'univers ne s'en rendrait même pas compte. Une petite planète parmi des milliards d'autres d'un des bras de la Voie Lactée (une des galaxies parmi des milliers) explose. Fin de l'histoire. Les dinosaures n'avaient rien fait de mal, si ce n'est des choses de dinosaures. Ils ne se faisaient pas la guerre, ils ne tuaient pas pour le plaisir, ils n'étaient pas plus mauvais que nous et parfois bien meilleur. Pourtant, ils ont tous disparus, et bien d'autres espèces avant et après eux. Si cela se reproduisait, nous ne pourrions probablement pas l'éviter, mais ce qu'il nous appartient de savoir, c'est comment nous réagirions et ce que nous ferions alors. Serons-nous humains et tendrons-nous la main à nos semblables pour affronter ensemble l'apocalypse et peut être y survivre en humains ? Ou bien nous laisserions-nous aller à nos pires travers ?

Oui, il y a une justice et un ordre à imposer dans le chaos de ce monde et de cet univers, des lois à créer pour assurer le maximum de liberté et de bonheur à chacun d'entre nous, dans le respect de l'autre, mais c'est à l'homme, et à l'homme seul, de les créer et de les défendre.

Je voulais, à travers ces deux passages, montrer ce que l'homme peut développer de pire, dans son désir de manipuler et de dominer les autres, en bâtissant des prisons mentales pour ses semblables dont il est le seul à posséder la clef, en les culpabilisant, en leur faisant croire qu'en se mortifiant, ils pourront changer le cours des choses car quelqu'un, là-haut les regarde et les juge... en les coupant du bonheur simple d'être deux et de bâtir le futur à travers ses enfants.

« Ne laissez jamais personne penser à votre place. » Voilà une des choses que j'avais envie de dire dans ce livre. Soyez humain et usez de votre bon sens, de vos sentiments, de votre empathie. Vous savez, au fond de vous, ce qui est bien et ce qui est mal. Il n'y a jamais d'excuse à faire souffrir un autre être humain et toutes les raisons du monde de le rendre heureux, et ce n'est pas si compliqué...

- Il n'y a pas de héros principal qui se détache des autres, et les personnages sont suivis à tour de rôle par le narrateur externe. Tout se passe comme si vous aviez fait le choix de privilégier le groupe, ou plutôt leurs relations. Pourquoi ?

Je ne pouvais pas m'attacher à un personnage en particulier car cela m'enfermait dans sa vision de l'histoire et de ce monde. Or, chaque protagoniste de ce récit possède ses secrets, son passé, ses rêves et ses fêlures... Si je me glissais dans la tête d'un personnage j'éventais une partie des secrets de l'histoire et me coupais des autres.

Et oui, dans cette histoire, chacun des personnages a son importance, même si certains occupent une place plus centrale que d'autres.

Alors certes, le groupe est important, mais pour moi, le plus intéressant l'élément primordial reste les personnages et la manière dont ils affrontent le péril... Ils représentent,  tous les quatre, des valeurs que je trouve essentielles, l'abnégation, l'amour, l'amitié...

- Une fois n'est pas coutume, les garçons sont presque davantage à l'honneur que les filles. Même la psychologie de Fanie est souvent considérée à travers un autre personnage. Avez-vous eu la volonté explicite de vous démarquer de tous ces romans fantastiques aux héroïnes intrépides ?

Il est vrai que j'envisage peut être l'histoire plus du point de vue des garçons que des filles, encore que non, je l'envisage du point de vue extérieur du narrateur et donc la psychologie de chaque personnage, pas simplement Fanie, est toujours vue à travers un autre personnage, afin, de conserver son mystère. La psychologie de mes héros se dévoile donc petit à petit, à travers leurs actes et leurs paroles et le lecteur les découvre donc petit à petit, comme dans la vraie vie et peut ainsi être surpris par leurs réactions.

Quant à me démarquer, oui, mais pas de cette manière et du reste, Fanie est intrépide (elle s'enfonce tout de même seule dans la Malesève pour suivre l'homme qu'elle aime et  met sa vie en jeu pour lui permettre, par amour, d'en retrouver une autre.) Elle ne craint pas la douleur (ou du moins l'affronte admirablement) et ne baisse les yeux ni les bras devant rien ni personne, mais elle reste toujours humaine, ce n'est pas une « super héroïne » (même si elle se révèle détentrice de pouvoirs hors de portée du commun des mortels) mais une jeune femme en proie à ses doutes, ses peurs, ses blessures... Enfin, c'est bien elle qui offre un nouvel espoir à l'humanité... Mais chut je ne dois pas en dire trop !

- Au début du roman, vous prenez le temps de créer des personnages qui ne sont ensuite plus du tout exploités : Rodolphe, Sarah... Cela correspond-il à l'éventuelle idée d'une suite au Dernier Hiver ?

Oui et non. Oui, car ils pourraient intervenir dans une suite, s'il devait y en avoir une, et non car je ne les ai pas créés pour cela. Je porte toujours grand soin à mes personnages secondaires, je veux que eux aussi aient leur vie propre, ne fassent pas « toc » qu'on n'ait pas l'impression qu'ils disparaissent dès qu'on détourne le regard d'eux, une fois leur rôle achevé, mais qu'ils vivent encore, même quand on ne pense pas à eux. Il m'est même arrivé, dans Louis le Galoup une série que j'ai publiée chez Nouvel Angle et qui sortira l'année prochaine au Livre de poche jeunesse, qu'un personnage secondaire, que j'avais juste créé pour servir de messager et que je ne pensais pas développer plus que ça, prenne de plus en plus d'importance et devienne un protagoniste de premier plan de l'histoire. Il s'est invité tout seul, je me suis attaché à lui et il a pris son rôle. Pour un écrivain c'est très agréable de voir ainsi qu'une de ses histoires peut générer d'elle même ses propres personnages et le surprendre lui même.

Il en va de même pour tous mes univers pour lesquels j'ai écrit, parfois, plus de 300 pages de background (géographie, histoire, faune, flore, climats, villes, sociétés, langues, etc...) pour n'en utiliser qu'un dixième et encore, mais je veux qu'en refermant le livre, le lecteur ne se dise pas qu'il a traversé un monde en carton pâte, un décor de film avec rien derrière, je veux, au contraire, qu'il ait l'impression que l'univers continue de vivre même une fois le livre refermé, hors de son regard, je veux qu'il sache que je peux lui en dire beaucoup plus que je ne l'ait encore fait.. qu'il sente qu'il y en a encore « sous la pédale » et que je peux lui expliquer le pourquoi du comment de tel ou tel détail. Qu'il peut « croire » à cet univers et donc à cet histoire.

A ce titre, et pour ma part, en tant que lecteur, j'ai beaucoup aimé Les Eveilleurs, de ma consoeur et amie Pauline Alphen et Autre Monde de Maxime Chattam. Dans l'un comme dans l'autre, je me suis régalé car justement, on sent, en les lisant qu'ils ont encore plein de choses à nous dire sur leurs univers respectifs et on a d'autant plus envie de croire en leur histoire.

Pour en revenir à une suite, pourquoi pas ? Mais pas avec les mêmes personnages, eux ont fait leur chemin, ils ont mérité de vivre leur vie ensemble, dans l'intimité.

Mais peut être leurs enfants... Ou leurs descendants, quelques dizaines ou centaines d'années plus tard...

Que deviendra ce monde, sous le crépuscule éternel ? Et ceux qui le peuplent...

Miaaaah ! Fantasia comprend mieux pourquoi Sophie ne réagissait pas... Mille mercis, Monsieur Marcastel, d'avoir pris tout ce temps pour nous répondre !

Bon, ben, maintenant, vous savez ce qu'il vous reste à faire : comme le petit félin de ce blog, vous précipiter sur Le Dernier Hiver !

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Commentaires
A
J'ai lu avec un grand intérêt ce dialogue qui me donne envie de lire Le dernier hiver. Pourquoi ? tout simplement les lieux évoqués : Aurillac que je connais bien pour y avoir débuté ma carrièret, et un film en noir et blanc La chose venue d'un autre monde que j'ai regardé quand j'avais 12 ans avec d'autres gosses à travers la vitre du magasin où on vendait les premiers téléviseurs (le marchand en laissait toujours un allumé). A cette époque, l'argent était compté dans la famille. Merci Fantasia pour cette découverte !
Les riches heures de Fantasia
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