Voie interdite - Anne Vantal

Hum, hum, Fantasia se lisse trois fois les moustaches en réfléchissant… Difficile de parler du roman sans dévoiler trop d’éléments… Un jeune homme part s’installer dans un campement abandonné. Il a décidé d’y vivre seul, en autarcie, pendant au moins toute la belle saison. Qui est-il, que fuit-il ? Enfant abandonné, il a été élevé par son grand-père. Mécanicien sans grande éducation, il n’a jamais eu d’ami(e)s. Homme peu sûr de lui, il ne connaît pas les femmes. Une belle Alexia lui plaisait pourtant, elle devait venir avec lui, n’a finalement pas voulu.

Dans la bibliographie d’Anne Vantal, je comparerais ce roman à Peine Maximale (Actes Sud junior, 2010) : même sécheresse d’écriture, même éloignement vis-à-vis du personnage principal, même drame sous-jacent. Ca démarre comme un Into the Wild basique. On imagine bien ce garçon désireux de fuir la ville et la société de consommation, pour un retour aux sources temporaire et sans conséquences. Il organise sa vie quotidienne, goûte aux joies de la nature, tombe malade aussi. Il se baigne dans l'eau glacée de l'étang, construit un petit banc, suçote son lait concentré, cueille des mûres, etc.

Et puis on se demande où veut en venir l'auteure. Heureusement, et malgré le « il » un peu glaçant du narrateur qui suit notre héros (sans prénom), l’introspection va avoir la part belle, avec la plongée dans des souvenirs de plus en plus précis. Après une grosse moitié du roman, une fois qu’on comprend ce qui s'est passé, on n’a qu’une envie : faire marche arrière et en rester au stade « je joue au petit Robinson ». Mais trop tard, l'engrenage est en marche jusqu’à une fin extrêmement, absolument, définitivement TERRIBLE !

Ce n’est pas glauque, c’est intense, douloureux, désespéré, humain. L’éditeur a jugé nécessaire d’ajouter une réserve d’âge en quatrième de couverture de ce court roman noir brillantissime. L'histoire est en effet très dure, mais il serait dommage de se priver d’une telle maîtrise de la tension narrative, à mettre en lien avec le fameux Je mourrai pas gibier de Guillaume Guéraud (Rouergue, 2006).

A lire d’urgence en accrochant bien son petit cœur avant !

Voie interdite

De Anne Vantal

Actes Sud junior – collection Romans Ado – mars 2011

10 euros

Extraits à lire sans crainte : ça ne vous expliquera rien :-)

« D’instinct, il savait qu’il lui fallait instaurer une routine ; c’est ce qu’ils avaient fait, avant lui, tous les aventuriers, les explorateurs, les pirates échoués sur une île déserte. Il n’était pas naïf au point de se comparer à eux ; il savait bien qu’à moins de deux heures de marche se trouvait un village où il pourrait se procurer tout ce dont il aurait besoin. Non, cela n’avait rien à voir avec l’aventure d’un Robinson. Cependant, il avait décidé de disparaître, pas de se montrer tous les deux jours en train de faire ses courses. » (p. 26)

«  La pluie n’allait plus tarder, elle rafraîchirait l’atmosphère. Il sentit les larmes couler sur ses joues. Il pleurait. Il avait espéré apaiser son chagrin en évoquant le passé, mais le souvenir de son bonheur disparu lui était intolérable. Quelques gouttes grosses comme des pièces de monnaie vinrent s’écraser sur ses joues, se mêlant à ses pleurs. Dans son désespoir, il entendait résonner les suppliques d’Alexia. Elle n’avait rien compris à l’amour qu’il lui offrait. Elle l’avait rejeté, et malgré cela il n’était pas guéri : il l’aimait encore, jamais il ne cesserait de l’aimer. Et cette pensée, au lieu de le calmer, faisait redoubler ses sanglots. » (pp. 44-45)

Découvrez la playlist Into the wild avec Eddie Vedder

Comments

[ulaz]

"Terrible", c'est le mot approprié. Un roman très court que l'on a du mal à lâcher tant il est fort.

[Fantasia]

Hummm... je me demande, tu as raison. L'effet de surprise est très important. Mais c'est bien écrit, de toute façon, donc on doit se "tendre" quand même.

[Bauchette]

J'adore le "A lire d’urgence en accrochant bien son petit cœur avant!". Je connais la fin, je ne sais donc pas si cette lecture ferait sur moi l'effet espéré.

[Fantasia]

Vous ne regretterez pas ! J'ai du mal à dire que c'est un "coup de coeur" (même si c'en est un), tellement j'ai frémi de malaise...

[clarabel]

Idem ! Je prends !!!