14-18 : une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux
de Thierry Dedieu
Seuil jeunesse - 2014
Pragmatique, Thierry Dedieu a choisi un grand album pour la Grande Guerre et il l'appelle 14-18. Le sous-titre donne un indice (engagé) : « une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux ». Effectivement, quasiment tout en dessins au pastel dans des tons sepia, l'album comporte une phrase initiale, et une lettre finale. C'est tout. Il laisse entre temps les bombes exploser, les chevaux hennir, les hommes hurler dans un silence assourdissant. « Hélas, ma chère Adèle, il n'y a plus de mots pour décrire ce que je vis. Gustave ».
J'ai aimé que l'auteur accorde deux double-pages à la nature – un lapin que l'on retrouvera plus tard dans le même mouvement qu'un char, un cheval abandonné dans une plaine dévastée – avant d'en venir à l'homme, avec le portrait d'un combattant blanc en regard d'un autre issu des colonies. Plus loin, nous avons l'impression de voir un soldat à tête (déjà) de mort courir entre les lignes... Celui qu'on pourrait penser être Gustave arrive tardivement, juste avant une explosion. Le lecteur a tôt fait de construire du sens entre les pages (attention, les gueules cassées hyper-réalistes pourraient choquer les plus jeunes). L'album s'arrête brutalement, ou plutôt sans espoir, sur un crâne encore encasqué que survole un corbeau.
Les pages de garde finales, d'un rouge sang, reviennent au dénommé Gustave : ses médailles, illusoires bouts de gloire nationale, et une lettre de sa femme, dans son enveloppe. Ecrite avec amour et maladresse mais aussi une prescience effrayante, la missive revient sans le savoir sur les images – je ne veux pas juste dire illustrations, tant ce sont elles, essentielles, qui font l'histoire -. Adèle conclut sur un appel pacifiste ambigu : « La patrie a besoin de héros soit ! Moi je n'ai besoin que de toi ! ».
En ne disant presque rien, en utilisant le pouvoir du visuel et des associations d'idées, Dedieu réalise un hommage aux hommes et un regret au monde au moins aussi percutant que Tardi (C'était la guerre des tranchées, Casterman, 1993). De l'art d'inclure l'album - jeunesse, s'il faut l'estampiller - dans la société. A partir de 10/11 ans.