La double vie de Cassiel Roadnight

de Jenny Valentine

traduit de l'anglais par Diane Ménard

Ecole des Loisirs – collection Medium – 2013

coeur mini

Il n'a pas de nom, à peine un surnom. Il vivait avec un grand-père, alcoolique mais aimant, dont on l'a brutalement séparé. Il a fui, de foyer en foyer, usé dès ses quatorze ans. On lui propose une nouvelle vie, celle d'un jeune disparu, un certain Cassiel Roadnight. Il hésite à mentir. Il décide de jouer le jeu, espérant trouver une nouvelle famille. Mais laquelle ne possède pas son cadavre dans le placard ?...

La situation de départ est un peu folle (et une critique à peine voilée des services sociaux de l'enfance). On imagine que les problèmes vont venir du héros lui-même, rebelle mal dans sa peau, certes sympathique. Et puis la mère droguée, la sœur fragile et le frère aux dents longues que « Cassiel » s'est trouvés deviennent rapidement plus inquiétants. Ou pas ? Car la narration, entièrement assumée par le jeune homme, brouille les perceptions.

Comme anesthésié par ses souffrances passées, Cassiel (il faut bien lui donner un nom, et celui de Roadnight a quelque chose de sombre qui lui est prédestiné) raconte avec distance et sincérité, pas sûr de lui-même avant de se méfier des autres. Tout le long du roman, nous oscillons entre des pistes criminelles, des souvenirs douloureux, des tentatives de survivre. La fin brillante, répétition des événements, le voit se décider mais achève aussi de plonger le lecteur dans une profondeur perplexe, vaguement étourdie, face à ces situations qui se sont retournées les unes les autres.

On sonde l'intense relation entre les notions de famille et de secret ; on pense à une tragédie grecque dans l'épure que Racine a pu lui donner : les actions, tout en restant infimes, ont des conséquences incalculables. Et surtout, on s'émeut pour ce héros victime presque totale, encore enfant derrière sa lucidité. Un roman impressionnant, dans tous les sens du terme, et sorti pertinemment hors collection à l'Ecole des Loisirs.

« Imaginez que vous ayez quelque chose de très précieux, quelque chose que vous ayez désiré toute votre vie, puis que vous ayez si peur pour elle, que vous n'en profitiez jamais, craignant sans cesse qu'elle se casse. Voilà comment c'était. Je ne savais pas comment avoir cette chose, cette famille. Je ne savais pas comment l'avoir et ne pas la détruire. » (p. 132)

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