Sweet sixteen
de Annelise Heurtier
Casterman – 2013
1957, Arkansas. Molly, jeune fille noire élevée par sa mère et sa grand-mère, s'apprête à rentrer au lycée public de Little Rock avec huit autres étudiants de la même couleur de peau qu'elle. C'est la première fois que la mixité s'introduit dans le système éducatif américain. Du côté des Blancs, le racisme prédomine largement et le rejet est très violent. Du côté des Noirs, l'inquiétude gronde quant à des représailles et on reproche aux jeunes d'attirer l'attention sur la communauté. Début septembre, le gouverneur de l'Arkansas contrevient à la loi et s'appose à la venue des nouveaux lycéens. Il faudra l'intervention du président des Etats-Unis et de l'armée pour qu'enfin Molly parvienne à une salle de classe. Sous les brimades constantes et au péril de sa vie...
Le récit alterne entre la narration de Molly et celle de Grace, une jeune Blanche de la bourgeoisie qui va peu à peu se désolidariser de ses amies racistes et d'un petit copain aux convictions dangereuses. Le procédé est très classique, mais particulièrement pertinent afin d'éviter d'une part une vision unilatérale de la situation et des événements, d'autre part un aspect misérabiliste qui aurait pu pointer malgré le tempérament volontaire, pour ne pas dire de feu, de Molly. Les menaces verbales et physiques dont elle va être victime avec ses camarades vont la terrifier, mais pas diminuer son envie d'aller en cours, consciente qu'elle est d'ouvrir une brèche, de tracer une voie et un espoir. Rosa Parks vient de monter dans le bus (1955), Molly voudra décrocher son diplôme – l'Histoire en décidera toutefois autrement, comme l'indique l'auteure dans une postface.
Annelise Heurtier reconstitue l'époque dans ses habitudes sociales les plus diverses, qui vont donc du contexte politique et de l'attitude des Blancs envers les Noirs jusqu'aux façons de manger, de s'habiller... Si Molly a dû se montrer mature très vite, Grace est le type même de la jolie adolescente qui découvre les garçons et les joies du flirt. Cela ne l'empêchera pas de suivre son cœur, preuve qu'une éducation peut aussi se « dé-formater ». Toutes les nuances sont là, y compris celle, désespérante, du vieux Noir qui a sans doute connu la fin de l'esclavage et qui insulte Molly de ne pas savoir rester à sa place. Collant à des réalités historiques, le sujet fort porte presque seul le roman. Mais l'enrobage fictionnel, avec sa belle écriture simple autour de quelques personnages seulement, avec son art de passer du factuel à l'action dramatique sans prévenir, accroche définitivement le lecteur. A lire absolument dès 11/12 ans.
« Peut-être que finalement Maxene Tate avait raison. Peut-être que tout cela ne faisait que commencer. Peut-être le jour viendrait où les Noirs pourraient assister aux mêmes spectacles que les Blancs. Peut-être que les piscines leur seraient ouvertes toute la semaine, et pas seulement la veille du nettoyage. Qu'un chanteur noir aurait le droit de faire swinguer une femme blanche sans être boycotté. Qu'il serait permis de se marier en mélangeant les couleurs. - Et peut-être même qu'un jour il y aura un président noir à la Maison-Blanche ! s'enflamma [Molly] devant son miroir. » (p. 105)
A la fois blanche et noire, Fantasia refuse de se poser tous ces soucis...