Frangine
de Marion Brunet
Sarbacane – collection X'prim – 2013
Joachim vit une terminale heureuse, entre délires de potes au lycée, découverte de l'amour en compagnie de Blandine et cocon chaleureux à la maison, avec ses deux mères, Maman (Julie) et Maline (Maryline). Et puis il y a Pauline, sa petite sœur qui rentre en seconde. Elle subit de plein fouet des moqueries autour de sa famille un peu différente, et le supporte très mal. Face aux difficultés, la jeune fille se recroqueville, refuse l'aide de Joachim, lequel ne prend d'ailleurs pas tout de suite la mesure du problème. Les vacances de la Toussaint, chez les parents de Maline, vont être l'occasion de réfléchir à soi, crever quelques abcès, resserrer les liens et pour Pauline, peut-être trouver sa solution devant la cruauté du monde extérieur.
Porte-parole de la famille, Joachim est le narrateur principal du roman. Il va aussi nous raconter un peu sa vie, sa Blandine, et donc livrer quelques considérations sur l'amour en général (toujours singulier) qui relativisent évidemment les discours homophobes dont Pauline, petit chaton au sortir de sa bulle enfantine, est victime. Mais le jeune homme sait aussi s'éclipser et laisser les autres montrer leurs sentiments (emploi fréquent du discours indirect libre). Interviennent notamment Maline, éducatrice de foyer en proie au doute – c'est le métier de Marion Brunet, ceci explique sans doute cela -, et un peu Julie qui tente de renouer avec sa mère pour le bien de toute la famille.
De fil en aiguille, c'est l'institution qui est interrogée ici à propos du vide juridique entourant la situation de la famille des jeunes personnages. Et parce que le vide administratif existe, les préjugés les plus abjects s'engouffrent, perdurent, drapés dans une dignité hors d'âge (la mère de Julie) ou explosifs de stupidité (les ados qui persécutent Pauline). Pour toutes ces raisons, les quatre membres de ce petit groupe semblent s'aimer, se respecter bien davantage que d'autres. Et puis, au bout d'un certain temps, leur banalité frappe : que leur reproche-t-on ? Des souvenirs de Joachim, souvent douloureux mais parfois d'un grand bonheur, émaillent son récit et viennent compléter une éducation de dix-sept ans, une éducation bêtement... comme les autres. Le message de l'auteure reste donc implicite, subtilement caché entre une dispute conjugale des deux mères et un fou-rire frère/soeur.
Parfaitement construit, rendu naturel par une écriture qui sonne juste comme il faut (oralité légère + sensibilité de coeur), Frangine est un très beau roman d'amour. De tous les amours contre toutes les bêtises.