L'Age des miracles - Karen Thompson Walker - Les riches heures de Fantasia

11 août 2012

L'Age des miracles - Karen Thompson Walker

L'Age des miracles

de Karen Thompson Walker

traduit de l'américain par Alice Delarbre

Presses de la Cité – 2012

Julia mène une vie tranquille en Californie avec ses parents. A douze ans, elle se sent différente de ses amies, trop sage et enfantine, et elle commence juste à s'intéresser à un garçon, le solitaire Seth. Un dérèglement de la planète va venir bouleverser sa vie de pré-adolescente : subitement, les journées rallongent, et de plus en plus. Tous les rythmes sont perturbés ; les animaux, les plantes sont les premiers à souffrir de ces changements. Les gouvernements intiment aux populations de continuer à respecter les cycles de vingt-quatre heures pour préserver la paix sociale, au risque de faire tomber malades les plus fragiles. En effet, la gravité, les champs magnétiques, etc, ont bougé, ce qui influe en profondeur sur l'équilibre physique et psychologique des hommes. La vie reprend toutefois, et on montre du doigt les irréductibles qui ont choisi de suivre les journées réelles, en complet décalage.

La fin du monde n'en finit pas d'arriver, et les romans se suivent autour de ce sujet. Ils ne se ressemblent pas tous, et c'est heureux. L'Age des Miracles choisit une approche très douce, imperceptible et lente du déclin de la Terre. En apparence, le quotidien ne dévie pas d'un iota : établissements scolaires, hôpitaux, entreprises continuent de fonctionner. Seuls les plus mystiques (nous sommes en Californie) choisissent les communautés naturelles qui respectent le temps réel. Et seuls les plus sensibles, telle la mère de la narratrice Julia ou le grand-père, perçoivent que le statu quo des Vingt-Quatre Heures ne va pas durer. Effectivement, peu à peu, il va falloir utiliser des lumières artificielles pour faire pousser les plantes, maîtriser la nette augmentation des infractions chez des gens auparavant inoffensifs, protéger sa peau des rayons trop violents du soleil... Ces petits détails s'accumulent et prennnent des proportions dramatiques pour Julia : sa mère est atteinte du mystérieux « syndrome » (pertes d'équilibre, nausées...) qui la fatigue terriblement, son père d'habitude si rassurant trompe sa femme avec la voisine, les copines délurées du collège lui battent froid et son grand-père rejoue la crise de Cuba. S'affrontent alors en la toute jeune fille deux tensions irréconciliables, d'une part ce qu'elle pense être une incapacité personnelle à s'émanciper de l'enfance et d'autre part une crainte de se projeter dans un avenir climatiquement hasardeux.

Cependant, jamais on n'a l'impression que le monde s'écroule d'un seul coup. On parle de rationnement de l'énergie, mais il tarde à être mis en oeuvre. J'ai bien aimé ce roman qui, sur sa base fantastique, fait écho à l'inertie des institutions prises dans des jeux politico-économiques (voir le protocole de Kyoto, par exemple). Karen Thompson Walker ralentit son histoire comme le font les jours, et elle suit avant tout des psychologies, des comportements qui se délitent vers... quoi ? On ne le sait pas, d'ailleurs. L'ancien monde peine à disparaître, le futur promet le chaos. L'écriture a posteriori par la narratrice Julia de ce récit ménage ses petits effets avec des annonces du type « Ma mère n'avait pas dormi depuis le lever du soleil et, cela a été avéré depuis, les longues plages de lumière peuvent émousser les réflexes. » (p. 165, avant un accident lié au « syndrome » de la mère).

Dense, complet, curieusement distancié, L'Age des miracles (tome unique) m'a surprise et convaincue par sa fausse douceur, sa vision résolument à hauteur de son héroïne. En ce sens, il se situe presque à l'opposé de la violence de Carbon Diaries, récemment lu.