Quelques Minutes après minuit - Patrick Ness, Siobhan Dowd et Jim Kay
Quelques Minutes après minuit
De Patrick Ness
Sur une idée originale de Siobhan Dowd
traduit de l'anglais par Bruno Krebs
Illustré par Jim Kay
Gallimard jeunesse – avril 2012
La mère de Conor, avec laquelle il vit seul, est en phase avancée d'un cancer. Elle possède encore la force de rester à la maison, aidée régulièrement d’une grand-mère que le petit garçon a du mal à adopter. Le père, parti aux Etats-Unis refaire sa vie, a définitivement tiré un trait sur son fils. Solitaire et maltraité à l’école, Conor souffre et ne cesse de prendre sur lui. Un même cauchemar répétitif le hante, bientôt remplacé par l’apparition, la nuit à minuit et sept minutes, d’un « Homme Vert », monstre issu de l’if du jardin qui veut absolument lui raconter trois histoires, visiblement pas pour l’endormir. La quatrième, celle de la vérité, doit ensuite sortir de la bouche de l’enfant. D’abord effrayé et réticent, Conor finit par entretenir une relation ambiguë avec l’arbre vivant.
Il est des livres qui touchent, interpellent trop pour que l'on puisse écrire facilement sur eux. Cela doit m'arriver trois à quatre fois par an, et c'est plutôt bon signe, en fait. J'ai donc laissé reposer longtemps cet ouvrage de facture soignée avant de me décider à poser des mots dessus. Il y a la situation initiale, dramatique et exprimée à travers les yeux de l’enfant, petit homme qui cache ses sentiments et tente de continuer une vie normale. Il veut croire de toutes ses forces à la guérison de sa mère, au traitement de la dernière chance – à base d’if, justement… Sa maladroite mais énergique grand-mère d’une part, le monstre végétal d’autre part vont secouer les illusions desquelles il espérait se bercer.
Et c’est alors qu’interviennent les fameuses histoires, incises dans le récit et faisant presque oublier le reste. Petits contes philosophiques, chacune vise à dispenser une graine de sagesse dans l’esprit du tout jeune Conor. L’Homme Vert les lui commente heureusement, car elles sont à revers des conventions habituelles du merveilleux. Ce n’est qu’à la fin, violemment salutaire, que le héros enfantin comprendra leur véritable portée. Devenir responsable, ne pas se mentir à soi-même, assumer ses émotions aussi indésirables soient-elles : autant de leçons de vie que Conor engrange en quelques heures et quelques phrases qu’il ose enfin poser. Il n’en restera pas moins un petit fragile jeté trop tôt dans l’arène de la vie…
Le roman, écrit avec une folle intensité qui affleure derrière les mots presque froids, est peut-être l’œuvre de Patrick Ness. Mais il est aussi, et sans doute avant tout quand on met en parallèle sa disparition précoce, une idée de la regrettée Siobhan Dowd… Les illustrations extrêmement originales et sombres, grands traits d’encre noire qui utilisent toutes sortes de débordements, d’effacements, complètent bien l’esprit difficile de l’histoire. Bien que mettant en scène un jeune garçon, ce roman graphique à l’époustouflante force brute s’adresse à des adolescents, voire des adultes. Il m’a beaucoup fait penser au Sauvage de David Almond, illustré par Dave Mc Kean, et aussi au Chant du troll de Pierre Bottero.
L'avis de Lael qui a aussi mis en ligne la bande-annonce de l'ouvrage.
« Conor cligna des yeux. Plusieurs fois. – Tu vas me raconter des… histoires ? Absolument, répondit le monstre. Conor regarda autour de lui, incrédule. – Mais… en quoi est-ce un cauchemar ? Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes, gronda-t-il. Les histoires chassent et griffent et mordent. » (p. 45)