Cavale
de Holly Goldberg Sloan
traduit de l'américain par Nathalie Perronny
Gallimard jeunesse – mars 2012
Depuis dix ans, Sam et son jeune frère Riddle suivent sur les routes leur père, un fou dangereux qui les a littéralement enlevés, et qui cavale maintenant de vol en escroquerie. Sam est presque majeur, il pourrait fuir, mais n'en a même pas l'idée. Il cherche avant tout à s'occuper de Riddle, asthmatique, un peu autiste. Un jour, dans une église où il était venu écouter les chants, il rencontre Emily. Entre le vagabond et la fille choyée, c'est le coup de foudre. Les parents d'Emily, impressionnés par le courage de Sam et la situation de Riddle, se sentent également vite concernés. Alors que la vie pourrait enfin sourire aux deux frères, leur père, qui se doute de quelque chose, repart avec eux en pleine montagne...
Holly Goldberg Sloan est scénariste de films, c'est son premier roman. Il est facile de dire que oui, Cavale est très « visuel », détaillant les environnements, les situations à la façon d'un script (il n'est pas trop question des physiques). Il est facile de dire aussi que l'auteure a déployé un sens de la construction, du rythme et du suspens très efficaces. Enfin, il est évident qu'elle joue sur les émotions du lecteur, sur sa compassion plus que son identification avec les héros. Bref, on pourrait prétendre que Cavale, c'est avant tout un « film ». Mais ce serait oublier une écriture de qualité, travaillée, et une sincérité dans le propos qui ressort clairement, et d'une multitude de façons.
Les sentiments des personnages se devinent par leurs actions plutôt qu'ils ne sont exprimés platement, et chacun garde toujours sa pudeur. Le narrateur externe décortique systématiquement les événements pour faire voir leur enchaînement inéluctable, nous faisant un peu sourire mais surtout happant par là notre attention. Plusieurs intrigues se croisent, et aucune n'est bradée – on notera même un peu d'humour avec le pauvre Bobby, amoureux transi d'Emily et apprenti détective. L'amour que se portent Emily et Sam, ou les aventures des deux frères dans une nature hostile ne sont pas le clou du roman, qui tient à terminer sur une note peut-être pas réaliste, mais au moins crédible.
Au fil du récit, on s'interroge sur les notions de normalité, de charité, de libre-arbitre, sur les règles que l'on construit – pour soi ou à l'échelle d'une société – afin de se protéger. Comment se fait-il que Sam et Riddle n'aient pas réagi avant de rencontrer Emily ? Qu'est-ce qui pousse les parents de cette dernière à remuer ciel et terre pour les frères ? Pourquoi personne n'a jamais signalé ces gamins qui traînaient ? Au final, partant d'un fait divers, Holly Goldberg Sloan bâtit un gros roman captivant et plutôt profond, sans aucun misérabilisme. L’impeccable traduction de Nathalie Perronny achève ce beau travail tout en simplicité apparente. J'ai beaucoup aimé.