Qui es-tu papa ? - Allan Stratton

Qui es-tu papa ?

D’Allan Stratton

Traduit de l'anglais (Canada) par Sidonie Van den Dries

Bayard jeunesse – collection Millézime – février 2012 

« Où doit-on situer la frontière entre liberté et sécurité ? » (p. 221) 

Sami Mohammed Sabiri est né, et vit en Amérique avec ses parents. Son père, qui a fui l’Iran quand il était enfant, est aujourd’hui un directeur de laboratoire de biologie à la fois soucieux de respecter la religion musulmane de ses origines et de s’intégrer correctement dans le pays qui l’a accueilli. De fait, à seize ans, Sami est un garçon aux fréquentations et aux activités très surveillées, qui tente à peine quelques bêtises avec ses deux meilleurs amis. C’est pourquoi, lorsque le FBI débarque un matin chez lui, saccage la maison à la recherche d’indices et emmène le père accusé de terrorisme, Sami voit son monde s’effondrer : comment son père, ce modèle, aurait-il pu contrevenir à la moindre loi américaine ? Incapable de laisser l’affaire classée secret défense suivre son (long) cours, il va lui-même mener l’enquête pour découvrir qui a bien pu rencontrer son père lors d’un mystérieux week-end de travail à Toronto…

Je n’en dis pas plus, le secret est assez étonnant. Rassurant, mais étonnant, et pas facile à vivre non plus finalement pour le jeune narrateur qui se trouve blessé dans l’intime de sa famille.

On retrouve dans ce roman l’écriture et le ton posé d’un auteur que j’apprécie beaucoup, Allan Stratton, l’auteur des Chanda. Il choisit comme toujours d’être en prise avec les faits de nos sociétés « multiculturelles », des sociétés qui brassent les croyances, les usages, les politiques pour le meilleur et pour le pire. Le terrorisme est un sujet évidemment brûlant, surtout outre-atlantique, et l’auteur s’applique à démonter les comportements hyper-protectionnistes du gouvernement américain. Attention, Allan Stratton ne fustige pas la prudence face à un danger qui existe, mais il nous invite à ne pas tomber dans le piège de la délation et de la paranoïa, aux dérives ravageuses dès qu’il s’agit de sûreté nationale. Il n’est pas innocent que ce soit trois simples adolescents, dont deux en mal d’aventures, qui pointent du doigt une vérité que le FBI, entraîné dans des effets d’annonce, ne pouvait pas découvrir. Si le roman est par ces aspects très engagé, il offre aussi des contre-points, notamment sur les contraintes de la religion musulmane en pleine Amérique. Certes, il y a du racisme pur, et le quotidien de Sami dans son école privée catholique est difficile, rien qu’en raison de sa couleur de peau. Et même au XXIème siècle, son professeur d’histoire qu’il adore, juif et homosexuel, est lui aussi discrédité aux yeux de l’administration de l’école. Mais il faut bien reconnaître que l’islam pourtant modéré des Sabiri est astreignant, pas forcément soluble dans la culture des teen-agers. Les meilleurs et fidèles amis du jeune héros eux-mêmes l’ont rebaptisé « Sammy », et ils se moquent régulièrement de son éducation stricte : Sami en souffre. Allan Stratton, loin d’offrir une vision unique, joue donc la nuance, laissant à son lecteur le soin d’aller plus loin, et de se construire sa propre philosophie de tolérance. Qui es-tu papa ? (je préfère le titre américain Borderline) est donc un roman très fort, très habile, sérieux mais nécessaire.

Comments

[Liyah]

Ce livre me tente beaucoup car son sujet me touche particulièrement. Il faut que je trouve un moment pour m'y mettre !