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Les riches heures de Fantasia
7 janvier 2012

Rencontre avec Michel Tournier

J’ai eu l’honneur d’être accueillie par Michel Tournier dans son presbytère de la vallée de Chevreuse. Cet auteur est considéré comme un des plus grands écrivains de notre temps. Il est né le 19 décembre 1924 à Paris. Il a suivi des cours de philosophie à la Sorbonne puis à Tübingen en Allemagne. Il a présenté à deux reprises l’agrégation de philosophie où il a échoué. Il a traduit alors des ouvrages de l’allemand au français et se dirigea ensuite vers la radio. Il travailla aux éditions Plon et anima des émissions télévisées. Il reçoit en 1967 le Grand Prix du roman de l’Académie Française pour son roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique. En 1970, il obtient le Prix Goncourt à l’unanimité du jury pour son roman Le Roi des Aulnes et devient membre de cette Académie en 1972 d’où il démissionne en 2010. Depuis quarante ans il se consacre entièrement à la littérature avec ses romans, nouvelles, textes pour la jeunesse, essais et également de nombreuses préfaces et articles.

 mt

 

 

Vos grandes œuvres de littérature pour la jeunesse sont des réécritures d’histoires existantes. Pourquoi ce choix de réécriture ?

Je crois que ce que l’on appelle un grand classique est le traitement d’un thème universel. Il serait facile et intéressant d’écrire une étude sur les grands sujets universels et la façon dont ils ont été traités, exemple Adam et Eve, Caïn et Abel, Tristan et Iseult etc.

Dans votre carrière vous avez commencez à écrire pour un public adulte. Comment êtes-vous venu à écrire pour les enfants ?

Alors cela tient essentiellement au sujet que j’ai abordé. Le sujet principal étant Robinson Crusoé, célèbre roman de Daniel Defoe qui a provoqué de nombreuses réécritures parmi lesquelles Vendredi ou les Limbes du Pacifique (Michel Tournier 1967). Le sujet m’a paru d’une extrême actualité puisque c’est d’une part la solitude de Robinson Crusoé sur son île déserte, d’autre part les relations qu’il créé avec Vendredi, un esclave rescapé d’un navire qui a fait naufrage. Donc d’une part la solitude personnelle qui est une expérience personnelle, d’autre part les relations avec un africain qui est un des grands problèmes de la France d’aujourd’hui qui abrite de nombreux travailleurs immigrés africains.

Comment choisissez-vous les thèmes de vos livres pour adultes ?

Je prends les plus grands sujets de l’actualité. Le Roi des Aulnes (Prix Goncourt 1970), c’est l’Allemagne nazie et la guerre de 39-45. C’est un sujet que j’ai connu personnellement puisque mes parents se sont rencontrés en 1910 comme étudiants d’allemand à la Sorbonne. En 1914 mon père mobilisé a reçu une balle dans la figure, j’ai toujours eu en face de moi ce que l’on appelait « une gueule cassée ». Néanmoins ma mère m’a élevée avec un pied en Allemagne. Ensuite j’ai choisi de faire des études de philosophie. Or la philosophie, cela implique le grec, le latin et l’allemand (Kant, Hegel, Heidegger).

Quel regard portez-vous sur la littérature pour la jeunesse ?

Je considère que les livres qui sont lus par les enfants constituent le plus haut sommet de la littérature classique, type Les Fables de La Fontaine et Les Contes de Perrault. Ce sont les deux classiques qui sont les plus connus en France et beaucoup de Français ne connaissent que ces deux noms.

Considérez-vous qu’il soit plus difficile d’écrire pour les enfants ?

Certainement. Beaucoup plus difficile ! Quand je suis passé de Vendredi ou les Limbes du Pacifique à Vendredi ou la Vie sauvage, j’ai considéré que les Limbes du Pacifique étaient un brouillon. De ce brouillon, il fallait sortir une œuvre « au propre » : Vendredi ou la Vie sauvage. Cela correspond aux chiffres de vente. Aucun de mes livres n’a atteint le tirage de Vendredi ou la Vie sauvage.

En 2010, Vendredi ou la Vie sauvage est la deuxième meilleure vente de poche jeunesse (84000 exemplaires), vous attendiez-vous à un tel succès 50 ans plus tard ?

Je réponds franchement oui ! Les auteurs se font toujours des illusions sur le succès de leurs œuvres. Moi ça n’a pas été une illusion ! Je pourrais vous monter des traductions, celle dont je suis le plus fière a été faite en Israël, c’est une traduction en hébreu.

Vos livres jeunesse sont l’objet d’étude dans les écoles, allez-vous à la rencontre des élèves ?

J’étais très souvent invité à dialoguer dans des classes, aussi bien à l’étranger qu’en France. Je me souviens très bien des questions que posaient les enfants, par exemple en ce qui concernait les droits d’auteur. Ils étaient généralement indignés par la médiocrité des droits que touche un auteur sur un livre (en moyenne 10% du prix du livre).

Parmi vos ouvrages en avez-vous un qui vous tient particulièrement à cœur ?

J’ai écris essentiellement pour être lu, si je n’avais pas de lecteurs, je n’écrirais pas. Donc j’aime mes livres en fonction de leurs succès.

Avez-vous le projet d’un livre en ce moment ?

J’attache une grande importance au titre. Quand j’avais un bureau chez Gallimard, j’étais souvent scandalisé par un auteur qui déposait un manuscrit sur mon bureau en me disant « Voilà mon prochain roman, je n’ai pas de titre. Proposez-moi quelque chose ». Je ne pourrais rien écrire si je n’avais pas d’abord de titre et un bon titre ! Je pourrais vous montrer mon prochain manuscrit, il s’intitulera Mirabilia, ce qui veut dire en latin choses admirables. Ce sera des textes sur des sujets admirables et essentiellement positifs. Quand je regarde les journaux ou la télévision, je suis souvent choqué par la noirceur des sujets choisis. Ce sont essentiellement des horreurs, des crimes, des atrocités et l’horreur par excellence qui est la guerre. Pourquoi ces choix ? On pourrait aussi bien ne retenir dans l’actualité les sujets admirables ou réconfortants.

Préférez-vous écrire pour les enfants ou pour les adultes ?

J’écris de mon mieux. Quand j’atteins ma plus grande qualité, ce que j’écris est si bon que les enfants peuvent me lire aussi.

 

Bibliographie sélective de livres jeunesse :

-Les Rois mages, Gallimard jeunesse, Collection folio, 2009.

-Vendredi ou la Vie sauvage, Gallimard Jeunesse, Collection folio, 2004.

-La Couleuvrine, Gallimard Jeunesse, Collection folio, 1999.

-Pierrot ou les secrets de la nuit, Gallimard, 1995.

-Amandine ou les deux jardins, Corti, 1989.

rois mages  vendredi  couleuvrine  pierrot  amandine

 

Coralie Feliculis El Yadri (Master1 PE - Université Versailles-St-Quentin)

Fantasia à l'Université

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Commentaires
A
Merci Fantasia pour cette collaboration avec les étudiants, Michel Fournier exprime une vérité que j'approuve concernant les journaux ou la télévisision, on y trouve très peu de sujets positifs (heureusement pour nous, il en a encore !). J'ai une bonne bibliographie pour mes futures lectures... Agapanthe.
E
Merci beaucoup pour cet entretien. " Les vertes lectures " sont au programme de mes prochaines lectures.
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