Le Jeu du Chevalier
De Kit Pearson
Traduit de l’anglais par Alice Seelow
Albin Michel – collection Wiz – septembre 2011
13,50 euros
Etats-Unis, années 1950. Corrie vit avec ses six frères/sœurs et son père, universitaire réputé. Les enfants sont plus ou moins laissés à eux-mêmes, sous la houlette de leur aîné Sébastien. Ce dernier a notamment inventé une association de chevaliers qui reproduit la Table Ronde. Si le jeu fonctionne bien pour les plus jeunes, leur permettant d’oublier l’absence de leur mère décédée, il devient problématique pour les grands. Rose préfère bientôt se consacrer aux majorettes, Corrie découvre l’amitié avec Meredith. Mais Sébastien, brimé au collège, finit par confondre imaginaire et réalité. Encore enfant innocente et déjà adolescente consciente, Corrie va essayer d’aider son frère.
Autre temps – et ambiance quotidienne délicieusement désuète -, mais problématiques similaires, qui ne sont d’ailleurs pas intrinsèquement liées à l’adolescence : face à une difficulté jugée insurmontable, l’esprit peut préférer se réfugier dans un monde idéal, créé de toutes pièces. En l’occurrence, la Table Ronde est particulièrement bien choisie, à la croisée du jeu enfantin (je refuse de grandir) et de l’univers héroïque de vainqueurs (je domine mon environnement).
La situation de Sébastien est violente, tempérée ici par une époque où l’intime et la faiblesse mentale se taisaient. De fait, les adultes ne se rendent compte de rien jusqu’au choc final. La narratrice Corrie, qui justement n’a pas encore les mœurs policées des « grands », parvient à exprimer avec une finesse limpide les affects de sa famille. Elle pointe aussi le fait que chaque jeune se développe à son rythme, elle-même étant en décalage avec Meredith ou Rose : en reflet, on comprend que Sébastien n’est pas simplement lent, mais bien malade. L’évocation de sa guérison pourrait alors apparaître un peu rapide. Ce serait oublier que le père et la fratrie, sans un mot ou une explication de trop (merveilleuses années 50… !), se remettent en cause en profondeur. Derrière cette ouverture d’esprit, et ce formidable roman qu’on dévore, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la sacrifiée : la tante, vieille fille qui passe son temps à aider les autres. Bref. Curieux mélange d’un temps codifié et d’une explosion individuelle, Le Jeu du Chevalier offre une vision aigüe des chemins tortueux de la résilience… Très très réussi.
C’est le premier roman traduit en français (à ma connaissance) de Kit Pearson, auteure canadienne très connue outre-atlantique : vivement qu’il y en ait d’autres !
Il ne se passe pas au Moyen-Age à proprement parler, mais j'aimerais ranger ce roman dans le challenge Moyen-Age de Herisson08 : il joue sur la corde arthurienne épique, et puis je l'ai vraiment adoré ! 4/5