L'Enfant du jeudi - Sonya Hartnett - Les riches heures de Fantasia

18 août 2011

L'Enfant du jeudi - Sonya Hartnett

L’Enfant du jeudi

De Sonya Hartnett

Traduit de l’anglais (Australie) par Valérie Le Plouhinec

Les Grandes Personnes – août 2011

16 euros

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Années 1920. Harper Flute, dix ans, vit dans la campagne australienne. Pauvre, menée par un père pas fait pour les travaux des champs, la famille survit bon gré mal gré. La crise de 1929 semble précipiter les malheurs chez les Flute : vol de leurs vaches, incendie de la maison, décès accidentel, harcèlement d'un riche propriétaire, etc. Harper prend la mesure des difficultés en fonction du désarroi grandissant de Pa et Ma ainsi que des discussions des voisins, pourtant solidaires. Et puis il y a Tin, le petit frère timide, qui creuse des galeries sous la terre, de plus en plus loin, jusqu'à disparaître et devenir sauvage. Paradoxalement, il aura une influence décisive sur l'avenir de ses proches.

Ne nous y trompons pas : la version de la petite Harper, quoique relatant avec précision et chronologie les faits advenus aux Flute, est profondément subjective. Une aura de douceur et d'inconscience entoure la misère, occulte les mauvais choix d'un père idéalisé. Amoureuse de la nature, la petite fille en voit la beauté ravageuse avant la sécheresse. Complice de Tin, elle considère son comportement comme assez naturel - les parents aussi, d'ailleurs -, voire en comprend la nécessité vitale pour le garçonnet. A contrario, son jeune âge fait que les adultes parlent librement devant elle, et qu'elle glane toutes sortes de nouvelles, d'informations plus ou moins agréables qu'elle nous relate in extenso.

Ce faisant, son récit oscille entre une certaine naïveté et la cruauté du monde de l'époque, en ces lieux. La chute des Flute est liée à un contexte à la fois environnemental (aridité), économique (la Grande Dépression), et personnel. Chacun des personnages développe son caractère au fil du texte, et se révèle alors combattif ou non face à l'adversité. Globalement, les Flute pâtissent d’un système patriarcal, où le mal-être du chef de famille se répercute sur tous : frère obligé de partir, soeur contrainte de se vendre, mère résignée...

Quid du personnage de Tin ? Il incarne ici la « touche » Sonya Hartnett, le côté poétique, un peu fantastique que l’auteure préserve toujours dans ses histoires, à l’égal du Plume de L’Enfant du fantôme. Il incarne une force primaire face aux tribulations erratiques des humains restés à la surface ; sa présence presque inquiétante est ressentie comme tutélaire par le reste des Flute. Régulièrement, Tin apporte donc sa bizarrerie légère et casse le côté dramatiquement inéluctable du reste de l’intrigue.

Servi par une écriture souple et imagée à travers la voix d’une jeune adulte replongée corps et âme dans son enfance, le roman est à la fois épuré dans son action et dense dans ses émotions. Sonya Hartnett déploie ici un niveau d’exigence et de délicate simplicité rarement atteints : j'ai passé un merveilleux moment de lecture. J'espère que vous non plus n’échapperez pas à la flamboyante mélancolie de L’Enfant du jeudi…

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« Le monde dans lequel on vit à neuf ans n’est pas celui où évoluent les autres. Ma maison était mon empire, le seul endroit qui comptait, et jamais je n’en imaginais d’autres au-delà de l’horizon ; c’est pourquoi, vers la fin de cette année-là, je ne saisis pas pourquoi Pa et Ma parurent si inquiets le jour où Billy Godwin, de retour de la ville, leur annonça que la Bourse s’était effondrée, qu’il y avait trop de charbon et que les cours du blé et de la laine étaient en chute libre, alors que nous n’en avions jamais eu. Les prix de la laine et du blé ne nous concernaient pas non plus, puisque nous élevions des vaches. A mes yeux, tout allait bien. » (p. 82)

Posté par Sophie Pilaire à 08:32 - Commentaires […] - Permalien [#]

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