Moi, Jennifer Strange, dernière Tueuse de Dragons
De Jasper Fforde
Traduit de l’anglais par Michel Pagel
Fleuve Noir – collection Territoires – juin 2011
15,90 euros
Jennifer Strange est une enfant trouvée élevée chez les Bienheureuses du Homard. A 16 ans, elle est directrice par interim et par défaut de Kazam, une résidence de sorciers. Elle gère les dons de ces derniers afin de subvenir à leur besoins et de garder à la magie une place dans une économie moderne. Le job n’est pas de tout repos, mais peut-être pas aussi dangereux que celui de Tueuse de Dragons. Et pourtant, c’est bien le rôle qui lui échoie, alors même qu’une prédiction annonce la mort du dernier Dragon ce dimanche à midi. Pas du tout convaincue qu’elle va commettre ce meurtre, Jennifer va se trouver violemment prise entre les intérêts cupides de milliers de personnes ; en effet, la Dragonie où gîte la bête va usuellement devenir terrain constructible à sa disparition.
Addictif ! Jasper Fforde aime le décalé, et sur une base fantastique plutôt classique, cela lui convient à merveille ! La narratrice Jennifer Strange est celle qui nous guide dans cet univers baroque, toutefois logique intrinsèquement. Portant mal son nom, elle tente aussi de rationaliser la magie à coups de formulaires B1-7G (administrativement obligatoires pour tout acte extraordinaire), ce qui donne quelques scènes croquignolettes avec des sorciers complètement paumés.
Très vite, elle devient attachante, symbole de compassion et d’honnêteté dans un monde corrompu. Le siège de la Dragonie fait penser à la ruée vers l’or du l’ouest américain, sponsors Choca-Flocs en plus. L’intrigue est forte, ficelée avec maîtrise. Elle suffirait à porter l’attention, mais la touche Fforde lui confère son caractère littéralement captivant. Humour, écriture piquante, petites inventions bien vues (mention spéciale au craquant quarkon) et final en queue de dragon : à lire sans hésiter !!
Des extraits parleront mieux que Fantasia :
« J’ai contemplé la Dragonie déserte puis les gens qui continuaient d’affluer, répondant à l’appel de l’argent en une espèce d’instinct grégaire profondément enraciné. Le lait de la bonté humaine était en train de cailler. » (p. 96)
« - On dirait que c’était un mec bien. – Oui, mais le manque d’argent se faisait quand même sentir, et il a été obligé de faire ce qu’un magicien ne devrait jamais faire. Un acte constituant une telle trahison grossière de son art que, s’il devenait de notoriété publique, sa réputation serait détruite à jamais : il mourrait brisé, humilié et méprisé par ses pairs. – Tu veux dire que… ? – Oui. Il a animé des fêtes pour les enfants. Grizz s’est couvert la bouche d’une main. » (p. 176)
« Une heure plus tard, je reprenais le chemin de la Dragonie, la Rolls-Royce recouverte d’auto-collants Fizzi-Pop. Une grande inscription peinte sur la portière disait : ‘Tueuse de dragons Personnellement sponsorisée par Fizzi-Pop & Cie La Boisson des Champions’. Parfois, on est obligé de faire pour la bonne cause des choses dont on n’a pas envie. » (p. 234)
A lire aussi, l'avis enthousiaste et plus apporofondi d'Emmyne : merci, je ne sais pas si j'aurais pris le temps de lire le livre sans ton incitation !