Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les riches heures de Fantasia
20 juin 2011

Comme des fantômes : histoires sauvées du feu - Fabrice Colin

Comme des fantômes : histoires sauvées du feu

De Fabrice Colin

Gallimard – collection Folio SF – mai 2011

8,40 euros

 

Fabrice Colin n’est plus, emporté par un incendie (une cigarette mal éteinte, c’est idiot) à l’âge de 33 ans. Heureusement, ses éditeurs et amis ont récupéré quantité d’écrits inédits, des nouvelles qui peuvent lui servir d’hommage posthume. Fantastiques autant que fantasques, elles expriment les thématiques chères à l’auteur, traduisent ses angoisses consicentes ou non… Une plongée dans la tête d’un écrivain complexe, aussi désagréable  - nous dit-on - que brillant.

 

Je connaissais le goût de Fabrice Colin pour le (dé)montage des pactes de lecture depuis sa saga sur les Mendelson (Seuil jeunesse, 3 volumes), famille sortie de son imagination et dont il s’était propulsé chroniqueur de la façon la plus crédible possible. Dans cette anthologie parue d’abord aux Moutons Electriques en 2008, il atteint toutefois des sommets de mystification ! Imaginer son décès afin de publier un recueil d’écrits divers… Il fallait oser. Allant jusqu’au bout de sa démarche, il n’hésite pas non plus à réécrire sa biographie, imaginer son interview, faire parler des écrivains ou des éditeurs réels à son sujet, etc. Il sait heureusement se moquer de lui en se dotant de quelques traits de caractère bien odieux. Quelque part là-dedans, il donne certainement des bribes de vérités sur sa conception de la littérature. J’ai renoncé à démêler le vrai du faux – ce n’était pas le plus intéressant - et j’ai choisi de me laisser bercer par la puissance d’écriture et d’invention de ce jeune auteur surdoué.

 

De quoi s’agit-il alors ? Fabrice Colin met souvent un écrivain maudit en scène, soit brimé par son éditeur qui voudrait du réalisme, soit hanté par la maladie, soit tenté par l’alcool ou les drogues. Evidemment, il se cache soigneusement derrière les faiblesses de ses personnages de papier. Quand il n’emploie pas le « je », il s’approprie d’illustres collègues, de Lewis Carroll à Georg Trakl et Tolkien en passant par Virginia Woolf – choix non innocents, bien sûr, qui véhiculent tous des approches très particulières de l’existence. Il leur imagine des aventures saisissantes, distord leurs propres univers et les plonge dedans - j'adore. Dans le même ordre d’idées, un certain Dyonisos traîne sa soif au bar Olympus : j’ai pensé à un Percy Jackson trash ! Et puis, la petite (ou vieille, parfois) Alice Liddel, le jeune éphèbe Peter Pan croisent régulièrement nos pas, se heurtant à la réalité d’humains désespérés pour une raison ou une autre. Car à quelques exceptions près, le ton de l’anthologie est résolument sombre voire violent, avec une obsession pour le sexe et la mort. Les sentiments vibrent intensément, les actions provoquent des conséquences démesurées : ça vit, ça grouille, ça s’agite dans tous les sens. Des fantômes, peut-être, mais bien décidés à remuer nos inconscients !

 

L’écriture est elle aussi frappante, très sonore, variée : courtes phrases inachevées, longues discussions intérieures des héros, soubresauts d’adresses presque menaçantes au lecteur, notes de bas de page fournies qui déroulent leur seconde histoire. Le vocabulaire, la syntaxe coulent avec autant d’habileté que de qualité, et j’étais prête à apprécier l’ouvrage rien que pour cette superbe maîtrise qui fait danser les mots et ronronner le lecteur.

 

Enfin, pépites rationnelles dans un ensemble joyeusement foutraque, Fabrice Colin livre des notices biographiques classiques et pertinentes sur Arthur Rackham, Kenneth Grahame : une manière de rappeler encore une fois son goût pour la littérature et l’illustration anglo-saxonnes du XIXème siècle : le triomphe du non-sense, et du tragique sous la fantaisie.

 

Je ne saurais que trop conseiller la lecture de Comme des fantômes, qui à la fois dévoile une facette très mature des innombrables ressources de Fabrice Colin, et offre un éclairage indirect mais lumineux sur ses parutions en jeunesse.

 

colin

 

« Difficile de déterminer à quand remonte la passion de Fabrice Colin pour le monde intangible. ‘Les fantômes sont des souvenirs, écrit-il. Les fantômes sont des pulsions, des idées, des scènes mourantes du passé – et leurs cohortes composent un zoo psychique.’ » (p. 145)

 

« Quand je pense qu’on m’a demandé si mes nouvelles avaient un sens. Bien sûr que non, elles n’ont pas de sens. Leur seule utilité, c’est de vous aider à oublier l’espace de quelques instants que dans votre cerveau aussi, une veine peut péter à n’importe quel moment. » (p. 194)

 

Merci aux éditions Gallimard pour cet élargissement pertinent ! 

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Je suis un peu plus réservée car j'ai pris un plaisir inégal à la lecture, selon les nouvelles, mais ce livre ne manque pas d'intérêt.
Les riches heures de Fantasia
Publicité
Les riches heures de Fantasia
Publicité