Deux Filles sur le toit
de Alice Kuipers
traduit de l'anglais par Dorothée Zumstein
Albin Michel – collection Wiz – mai 2011
13,50 euros
Dans le très beau Ne t'inquiète pas pour moi (Albin Michel jeunesse, 2008), Alice Kuipers imaginait déjà un huis-clos mère-fille autour d'un événement tragique. De la maladie longue on passe ici à la mort brutale : la narratrice Sophie a perdu sa soeur aînée et aimée Emily. Nous apprendrons comment au fur et à mesure du journal intime de Sophie. Si le roman explore donc le passé – entre légers souvenirs d'enfance et rappels du jour du drame -, il se préoccupe aussi du présent. Depuis un an, Sophie et sa mère dénient leur mal-être, se déchirent au lieu de se soutenir... Cela donne des scènes saisissantes, violentes, et le lecteur n'imagine d'abord pas d'avenir tant la situation semble bloquée.
Heureusement, l'héroïne va se lier avec une nouvelle venue au lycée, Rosa-Leigh, écrivaine en herbe et optimiste à temps plein. Plus que sa psychologue ou son ancienne meilleure amie, Rosa-Leigh saura respecter le silence de Sophie, ses larmes, ses attaques de panique. Il y aura aussi Lucy, fille d'une amie de sa mère, confrontée à l'accident cardiaque de son père : délicate, Lucy accompagnera Sophie par sa gentillesse muette. Et puis n'oublions pas Abigail, l'ex-copine de coeur qui ne sait pas comment réagir, perdue par ailleurs dans ses propres difficultés... Au final ce sont tous ceux qui entourent Sophie, en positif ou en négatif, qui vont permettre à la jeune fille de faire ses choix. Sans que ces figures secondaires soient intensément présentes, très lentement et surtout en l'absence de tout happy-end claironnant, Sophie remontera alors la pente de sa tristesse.
L'écriture d'Alice Kuipers est toujours aussi réservée et sensible, mais la forme est moins originale que celle des post-it de Ne t'inquiète pas pour moi. Du fait que les détails de la mort d'Emily ne nous sont révélés qu'à la fin, un jeu sur la culpabilité, l'agressivité de Sophie autour de ces circonstances ne peut pas être approfondi dans le corps du récit. De fait, on pourrait même se passer de savoir... Ce parti pris permet à l'ouvrage de se concentrer sur des aspects relationnels purement familiaux et amicaux : la vie (d'une ado), la mort (d'un être cher), la vie après la mort (de ceux qui restent), voire l'envie de mourir (du côté de l'ancienne meilleure amie). C'est de la (très) belle oeuvre, mais pas forcément surprenante.
« Les branches dénudées
Se dressent avec rudesse
Avec des bagues aux doigts
Des noeuds dans les cheveux
L'hiver argenté
De pluie enfumé
Les sorcières du soleil
A nouveau volent bas.
Dans une mare de grisaille
Gît l'été dernier
Où rien ne peut nager
Sous mes yeux meurt
Ma soeur.
Le printemps est chargé
De tout ce qui a été
Et elle est toujours là,
Eclatante, invisible. »
(poème de Sophie dont la construction parcourt tout le roman, p. 245)