Dream Land - Lily Hide
Dream Land : la maison de Safi
De Lily Hide
Traduit de l’anglais par Valérie Le Plouhinec
Naïve – Amnesty International – collection Naïveland – janvier 2011
17 euros
En 1944, le grand-père Tatar de Safi a du quitter la Crimée sous la pression stalinienne et s’exiler en Ouzbékistan. Cinquante ans plus tard, à la faveur de la chute de l’URSS, il revient avec toute sa famille dans ce pays qu’ils n’ont jamais cessé de considérer comme leur. Mais les Russes présents sur le territoire voient ce retour d’un mauvais œil.
Le sujet est largement sous-traité pour ne pas dire absent en fiction, et il fallait bien une journaliste pour s’y intéresser. Lily Hide s’inspire de tous les témoignages qu’elle a pu entendre afin de créer cette histoire forte, pleine d’émotions. Un narrateur externe suit la jeune Safi et nous retranscrit ses sentiments contrastés lorsqu'elle découvre la Crimée où elle n'a jamais mis un pied. Safi avait fait confiance à sa famille et aux beaux récits passés du grand-père ; sa déception est à la hauteur de ses attentes.
En effet, une dure réalité sociétale, politique, économique voire simplement climatique la frappe de plein fouet et lui fait regretter sa vie en Ouzbékistan : « la Crimée ne ressemblait en rien à ce qu’on lui avait promis. Au lieu de s’ouvrir sur le pays des histoires de Grand-père, son univers s’était réduit à quatre murs humides et inachevés, à une étroite vallée verte et au chemin boueux de la source. Et elle détestait cela. » (p 175). Les Tatars ont tout bonnement été effacés de la mémoire criméenne : habitants déportés, donc, mais encore villages rasés ou rebaptisés, histoire enseignée à l’école réécrite, etc. Acquérir un terrain, construire une maison s’avère même légalement très difficile.
Cependant, dans un joli parcours individuel, Safi va peu à peu réussir à adopter sa région montagneuse, et même faire sien un vieil habitat troglodyte abandonné... Elle ne cessera jamais de regretter les querelles territoriales : « Le principal, c’est qui nous sommes, pas où nous sommes. Nous avons toujours été des Tatars de Crimée pendant ces cinquante ans, en Ouzbékistan ou ailleurs. » (p. 228).
En regard de l'héroïne, un ensemble de figures secondaires rend aussi compte du dilemme droit du sol/droit du sang : le père dans l'impasse de ses convictions revanchardes, le frère aîné radicalisé par dépit, la mère qui fait contre mauvaise fortune bon coeur, le jeune homme qui ment à sa mère restée en exil... Les relations entre les Russes implantés et les Tatars de retour bruissent d’incompréhension, avec quelques belles exceptions pleines d’espoir.
Le grand-père est un personnage à part, riche de toute une époque heureuse, homme désillusionné avec sagesse : « Pendant toutes ces années d’exil, c’est en veillant sur l’âme de la Crimée que nous sommes restés en vie. Mais, malgré tous nos soins, je me demande si, à la fin, elle n’est pas devenue un fantôme. Un fantôme, et rien d’autre. » (p. 42). Ses pensées rendues en italique, ses histoires racontées à Safi apportent un éclairage nuancé, légèrement mélancolique sur la situation actuelle en Crimée. Malgré tout, la fin reste axée sur un avenir, sans doute long à construire mais toujours possible… Un beau roman original et sincère.
La couverture anglo-saxonne
La couverture française
Pour le coup, Fantasia est bien incapable de dire laquelle est la plus réussie... La première fait référence à un voile de marié tatar, la seconde à un retour difficile.