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Les riches heures de Fantasia
28 janvier 2011

Des univers kafkaïens dans la poche

Le Dernier Orang-outan

De Valérie Dayre

Thierry Magnier – collection Petite Poche – janvier 2011

5 euros

 

Un beau jour, le jeune Gaëtan commence à se transformer en singe, plus précisément un orang-outang. Il ne parle plus et adopte tous les comportements de l’animal. Désespérée, sa famille l’envoie au zoo. Gaëtan dépérit dans sa cage, tandis qu’à l’extérieur, l’espèce est décimée par une mystérieuse épidémie.

Cette histoire surréaliste combine un message environnemental implicite, une réflexion sur la versatilité de l’opinion publique, et… un fantastique très littéraire, pur et dur ! On peut encore y voir un refus enfantin de grandir dans une société devenue folle, un appauvrissement de la solidarité familiale, mais de toute façon : « Bredouille quant au comment, on le resta quant au pourquoi. » (p. 19). Autant dire que Valérie Dayre a lâché son imagination dans la cour du zoo, offrant très peu de prises à son lecteur pour tenter de donner un sens à ce récit factuel à la troisième personne. Il semblerait que l’auteur ait voulu nous alerter d’un point de vue très général, très englobant, sur notre « démission » de nos responsabilités en tant qu’habitants conscients et organisés de la Terre. Un roman étrange qui fait bouger les neurones de tous âges !

 

Pour dériver un peu sur la thématique homme/singe : Genesis de Bernard Beckett (Gallimard jeunesse, 2009), et La Planète des Singes (Pierre Boulle, 1963).

 

 

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Vous vous rappelez la « knutmania » de 2007, cet engouement international autour d’un ourson polaire né en captivité en Allemagne ? Gaëtan n’en est pas très loin…

 


Les Invités

De Charlotte Moundlic

Thierry Magnier – collection Petite Poche – janvier 2011

5 euros

 

Les parents du narrateur reçoivent la visite inopinée d’étrangers. Ils font montre d’une grande hospitalité, se laissent bientôt envahir par les nouveaux-venus. Ces derniers prennent donc leurs aises, un peu, beaucoup, jusqu’à vivre aux crochets de leurs hôtes, et enfin à les chasser de leurs maisons.

On ne sait pas le lieu - il y a du sable -, on ne sait pas l’époque, on ne sait pas la (les) langue(s) parlée(s), on ne sait pas les noms des personnages, on ne sait pas si ça finit vraiment. Et pourtant l’histoire s’applique à tant d’histoires de peuples… le colonialisme est universel, intemporel. Sous couvert de bonnes intentions, il cache une volonté de domination et d’acculturation forcée. Encore l’auteure ne nous parle-t-elle pas de religion… Charlotte Moundlic ne cesse de surprendre : entre deux albums pour tout-petits (la série des Chamalo au Père Castor-Flammarion), elle plonge dans le bain des plus grands pour nous parler de sujets graves : la mort (La Croûte, avec Olivier Tallec, Père Castor-Flammarion, 2009), l’expansionnisme ici. L’écriture glaçante appellera à discussion avec les plus jeunes lecteurs, tandis que les adultes pourront égrener immédiatement une longue liste d’exemples réels…

 

               invites        orang

         

 


 

De prime abord, les deux textes n’ont pas grand-chose à voir ensemble. Et pourtant, Fantasia a eu une idée un peu tirée par les cheveux, peut-être intéressante. Les ouvrages présentent une même atmosphère étouffante, absurde, noire, et dégagent une impression de descente irréversible vers une folie… kafkaïenne.

L’orang-outang de Valérie Dayre, c’est au premier degré une Métamorphose (1912) comme celle de Gregor Samsa. Le laconisme et l’absence d’explications de Charlotte Moundlic, c’est un peu un Procès (1925) ou un Château (1926). Dans les deux cas, une expérience singulière, ou tout du moins limitée à un petit nombre d’individus, peut s’extrapoler et devenir quasiment universelle : nous sommes dans l’allégorie, et les intrigues de Kafka ne fonctionnaient qu’au symbolique.

Les deux petits romans traitent de l’homme moderne et de son malaise dans une société qu’il a créée, mais qu’il ne maîtrise plus ; Kafka ne faisait pas autre chose.

La comparaison va s’arrêter ici parce qu’évidemment, Kafka était un écrivain bien plus complexe que cela (ne serait-ce que dans son écriture, ou dans sa façon de transposer sa propre vie dans ses œuvres). Et parce que Fantasia se rend bien compte qu'elle est assez audacieuse dans ses propos.

N’empêche, un siècle plus tard, on peut encore noter l'influence tacite de Kafka, et remarquer aussi que l’homme n’a pas évolué d’un pouce…

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Commentaires
M
J'ai beaucoup aimé "les invités", une façon très originale d'aborder le thème de la colonisation...
Les riches heures de Fantasia
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